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  • Photo du rédacteurMahigan Lepage

Terres de basse marée

Comment le fleuve en se retirant dévoile notre géographie terrestre


<quote><small>Les verts pâles et les bruns de la carte réconciliaient le rêve et la pédagogie.


Nicolas Bouvier, {le Poisson-scorpion}</small></quote>


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Autant un peu en aval [la terre devient une mer->http://mahigan.ca/spip.php?article150], autant ici c'est la mer qui devient terre.


Cela se produit quand la marée se retire. On a habité cette région déjà, cinq années durant. On les connaît bien, les marées, et ces fausses terres que leur retrait laisse espérer. Enfant, adolescent, on n'avait pas encore ajusté nos rêves au réel : on tentait souvent d'y marcher. Pour s'y enfoncer trop souvent jusqu'aux genoux, et même jusqu'à la taille. Il est des sols de marée praticables, faits de sable, et d'autres qui ne le sont pas. Ainsi ces terreaux meubles et puants, noirs ou bleu-noir, faits sans doute de matières en décomposition (algues, organismes...) : en sortir était toute une épreuve, et souvent on y laissait une chaussure ou une botte...


À la Pointe-aux-Anglais, au Bic, où on allait souvent, on pouvait traverser à marée basse sur l'île au Massacre. Le statut même d'île est alors fragile, labile : c'était une presqu'île plutôt, en tout cas c'était le temps, et non l'espace, qui en déterminait la géographie. Souvent, on se faisait surprendre par la marée remontante, et on retraversait à gué, les pieds, les jambes, les cuisses immergés dans l'eau froide.


C'est comme un vieux rêve, un imaginaire de cartes et d'explorateur qui revient à la vue des terres émergeantes. Les surfaces terreuses et algueuses décrivent des formes qui ressemblent à des continents découpés dans l'océan des eaux. Quand je dis {terre}, je pense à la planète même, au globe tel qu'il s'est imprimé en nous très tôt dans la vie. (Je devais avoir environ 7 ans quand mes grand-parents paternels m'ont offert pour mon anniversaire un globe terrestre en relief. Je m'étais plaint, je m'en souviens : j'aurais préféré un jouet - et de cette plainte, j'aurais longtemps, et même encore aujourd'hui, très honte. Pourtant j'ai été fasciné bien souvent en passant mes mains sur les Andes, l'Himalaya... Qui sait même si en écrivant [{Relief}->http://mahigan.ca/spip.php?article104], je ne cherchais pas à ressusciter cette vieille sensation.)


Mais justement : comme sur une carte, comme sur un globe, on ne peut vraiment marcher sur ces terres. Elles sont à rêver seulement, et pourtant elles sont là, tout auprès.


Je marchais sur la promenade de Rimouski et la lumière de brunante accentuait les contrastes de jaune et de bleu, qui sont la matière première des iconographies de la terre (même le vert en est issu). Les rayons rasants découpaient les continents d'algues, presque les soulevait (et c'est un autre rêve que celui-là, si souvent représenté, d'une terre flottant dans le ciel ou au-dessus des eaux).


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Est-ce parce qu'on ne peut s'empêcher de voir ainsi notre propre planète, depuis qu'on sait qu'elle flotte dans le ciel? Ce que je sais : en moi cette image revient, obsédante. Et c'est aussi l'image de nos villes, de nos routes, de nous-même : proliférations algueuses ou [lichéniques->http://www.fuirestunepulsion.net/spip.php?article876], désormais visibles de l'espace, par nos propres téléscopes.









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