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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Un corps sur la route

Voyage sans image, 1


<quote><small>Ce texte a d'abord été publié sur [une autre plateforme->http://mahiganl.tumblr.com/post/26137173496/un-corps-sur-la-route], un Tumblr que je ferme aujourd'hui, pour le remplacer par un nouveau blog plus suivi, que je vous invite à visiter : [La machine ronde->http://machineronde.net/].</small></quote>


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Il n’y a pas d’image qui tienne ici. Sauf celle que déploie intérieurement le récit.

Aujourd’hui, en passant en scooter à travers le village de Chaloklum. Sur Ko Pha-Ngan, île au Sud de la Thaïlande. Soudain c’est trop. Au milieu de la rue, étendu : un corps. Un corps de femme. Trop à gérer, mentalement, en même temps. Trop d’inattendu. Et de peur. Et déjà, de culpabilité : j’aurais voulu être médecin à ce moment-là, à ce moment-là seulement, comme mon amie [Ouanessa->http://ouanessayounsi.blogspot.com/]. Pour pouvoir faire quelque chose. Ne plus souffrir de ne rien faire, d’être bloqué. Sachant seulement qu’en m’approchant plus je serais nuisance plus qu’aide : déjà, des gens s’affairaient autour du corps.


C’était un corps de femme. Je dirais : un corps de mère. Un corps épais, enveloppé dans une de ces robes qu’on voit à tant de femmes ici : robe rougâtre ou orangée, à motifs blancs aux hanches. Il vivait encore, ce corps. Ça venait d’arriver : l’accident, c’était une évidence maintenant, qui s’imposait. Je voyais la poitrine se soulever, par à-coups. Mais surtout le visage : du sang. Beaucoup, il me semblait. J’avais l’impression d’un ruissellement. Mais qu’est-ce que j’aurais pu faire? Avancer, enlever mon t-shirt, en entourer la tête de la femme? Je ne savais pas quoi faire.


Et j’ai vu ce type, un Blanc, un étranger, un {farang}. C’était un costaud, blond frisé. Il a tenté de s’approcher de la femme. Il voulait aider, comme moi, plus encore que moi. Mais il ne savait pas plus quoi faire. Et tout de suite, un homme qui était là, cellulaire en main, un Thaï, cet homme a repoussé l’autre, le farang. Pas violemment. Mais fermement. En voulant dire : tu ne peux pas aider, va. Et l’homme s’est retourné, et s’est pris la tête dans les mains, et en étau dans les bras. C’est alors que j’ai compris : lui, l’étranger, c’est lui qui a renversé la femme.


Devant le corps on était impuissance. Devant l’homme empathie. Parce que de lui à moi l’impuissance était même, quoique mille fois plus aiguë en lui. Et ç’aurait pu être moi, à sa place : j’étais juste derrière, en scooter, sur la route. Quinze secondes derrière.


Et l’homme n’en pouvait plus de chercher quelqu’un qui voudrait l’absoudre : il expliquait en gesticulant à des riverains comment tout s’était passé. Il mimait la conduite d’une moto, ou d’un scooter. Il a donc frappé le corps tandis qu’il roulait à moto? Alors le corps était une femme, et cette femme traversait la rue à pied.

Ç’aurait pu m’arriver. Les routes sont si hasardeuses, ici. Je suis prudent, bien sûr. Mais les autres… ils ne le sont pas toujours.


Reste cette image, qui est trop. Il est des situations où toute photo, toute vidéo est obscène, voyeuse. Le récit a ici privilège. Il vient après. Il laisse le temps à l’image de venir, depuis le dedans.


Ils ont chargé le corps dans la benne d’un pick-up.

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