Voyage en Numérie
Préparation au nomadisme numérique
<quote><small>C'est un billet -- un autre -- que j'avais prévu écrire {avant} de partir. Mais là encore, pas eu le temps. Et puis je n'avais pas l'élan, pris par l'utile, le pratique, pour écrire cela qui en déborde.
C'est bien. Une semaine que je suis à Bangkok, et je me rends compte que je n'ai pas encore vraiment {voyagé}. Je suis passé d'une ville à une autre, d'une culture à une autre, mais je n'ai pas encore {frappé la route}, comme disent les Anglais. Je me sers de Bangkok comme d'un espace tampon entre la vie sédentaire à Montréal et la vie nomade qui m'attend au-devant. Je pense à ces explorateurs du Nord qui s'arrêtaient toujours quelques semaines dans un village inuit ou groenlandais pour compléter les préparatifs et se ravitailler. Depuis 10 jours que je suis à Bangkok, j'ai profité de la ville, j'ai visité oui, mais je me suis surtout préparé, j'ai acheté ce qui me manquait, et j'ai mis de l'ordre dans mes ordis, je me suis organisé techniquement pour la suite. Et j'ai fait une bonne partie de ce que je voulais d'abord faire avant de partir : en particulier, écrire sur certaines choses qui me tiennent à coeur, placer ici quelques repères, pour marquer la transition.</small></quote>
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J'appelle cela : la Numérie. C'est un pays qui n'existe pas. C'est un nuage. Et pourtant on peut l'habiter. On {va vers}, on {tend à} : à y déménager, pour s'y déplacer, s'y mouvoir. Y voyager.
Trois, quatre mois que j'ai décidé ce départ. Mais des années que je pense à une telle vie [[[Ce billet->http://www.mahigan.ca/spip.php?article161], par exemple, a été écrit avant que je prenne la décision de faire le saut vers.]]. Ce n'était, n'est encore qu'une idée. La voici. Il s'agit de ne plus avoir de point d'ancrage, sauf provisoires. De voyager de par le monde. Rien de neuf là-dedans. Ce qui seulement change : le numérique. D'aucuns sourcilleront : qu'ont ces gadgets, ces {médias}, à voir avec le vaste du monde? Ce ne sont pas des gadgets, pas non plus des médias : voilà toute l'erreur. Ce qui compte, ce n'est pas même la tablette, le téléphone multitâche, l'ordinateur, mais ce avec quoi, {derrière}, ils mettent en contact. Une immense bibliothèque. Des images par millions. Mais aussi le plus privé, perché là dans le nuage, que l'on peut décrocher n'importe quand : photos personnelles, copies de passeport, de {papiers} importants, manuscrits, etc. Il y a encore la possibilité de travailler à distance. Cela aussi existait déjà : Jack Kerouac, journaliste, envoyait ses papiers d'où il voulait. Mais l'âge d'aujourd'hui décuple les possibles du télétravail, en permettant de plus en plus facilement d'envoyer des documents, des images, des vidéos même, par Internet, et par l'instantanéité de la messagerie web.
Cette vie que j'imagine -- j'imagine seulement -- depuis des années, j'ai décidé de la tenter maintenant, de l'éprouver dans le voyage et le corps. Pour cela, je m'y suis préparé. C'est de cette préparation seule que je veux ici parler. J'ai bien pris garde, avant de partir, de m'engager à quoi que ce soit (le mouvement, au contraire, est celui du dégagement). Peut-être que je reviendrai au Québec dans quelques mois. Peut-être que le nomadisme numérique que j'imagine est impossible. Peut-être qu'il ne me convient tout simplement pas. Je laisserai peut-être cela à d'autres. Je parle de la {préparation}, et du rêve, parce que c'est tout ce qui a pour l'heure réalité. Cela, je l'ai {fait}, quoi qu'il advienne par la suite.
Pour un peu que l'on s'y prépare, on s'avise que la vie nomade, et plus particulièrement le nomadisme international, n'est pas un mode de vie sociétalement établi, reconnu, ou encouragé. Pour chaque démarche administrative qu'on a à faire, on nous demande : {Combien de temps vous partez?} Partir doit s'accompagner, avant même de se concrétiser, d'un revenir. Le désancrage n'est pas une option. Impossible par exemple d'assurer le matériel informatique que j'emporte avec moi, pour la simple raison que je n'ai plus de {chez-moi} : on n'assure pas un bagage de nomade; on assure une maison, son contenu, et on tolère que des biens provisoirement en sortent.
Et même dans le social hors l'administration, n'importe où, de n'importe qui, ces questions (et ce n'est pas jugement de ma part : à moi aussi elles viendraient naturellement) : {Tu pars combien de temps?} {Tu pars pour des vacances?} {Pour le travail?} On n'envisage plus très facilement, dans un monde qui a fait du travail salarié une valeur première -- les vacances n'en sont que le prolongement, une façon même de le légitimer, de le supporter --, un voyage qui ne soit ni pour travail ni pour vacances. {Pour quoi alors?} Je ne savais pas trop quoi répondre. Pour vivre un peu. Je dirais : pour éprouver -- s'éprouver.
La préparation a consisté en un processus de progressive dématérialisation. Ou plutôt : en une sorte de maximisation du matériel. Une espèce de {compactage}. En voici grosso modo l'inventaire :
-* {{Appartement.}} Il a bien sûr fallu laisser tomber le bail de l'appartement. Pas d'autres moyens de se désancrer. J'avais un loyer vraiment peu cher, dans un quartier convoité de Montréal, alors ça n'a pas été facile. Beaucoup me disaient : {Mais tu ne vas quand même pas laisser tomber ton appart?} {À ce prix-là!} {Tu n'as qu'à le sous-louer}. La décision a été dure à prendre. Mais non. Le sous-louer aurait voulu dire en garder responsabilité. La responsabilité n'est pas seulement légale; elle est mentale. J'avais besoin de me libérer, pour l'instant, de l'ancrage du chez-soi. Et tant pis si je devais, pour cela, sacrifier un acquis. C'est même là toute l'idée.
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-* {{Mobilier et affaires.}} L'idée première était de tout liquider. Le mouvement du départ est venu d'abord dans une radicalité, puis s'est modéré avec les semaines. J'ai quand même donné, vendu, jeté beaucoup. Le reste, que j'ai entreposé -- lit, matelas, coffre, table de travail en érable à laquelle je tiens --, le reste tenait dans une jeep et une petite remorque. Avec les affaires. J'ai organisé une vente de garage, et soldé la plupart de mes effets personnels. J'ai gardé quelques vêtements, souvenirs, trucs éventuellement pratiques pour se refaire un ménage si. J'ai entreposé le tout dans la grange d'une amie à une heure de Montréal. J'aurais dû prendre une photo : ça donne une espèce de masse blanche, sous bâches, d'environ 2m X 2m X 2m, dans le coin d'une grange. Mon trousseau.
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-* {{Photos.}} J'ai ressorti mes vieux albums photo, j'ai fait le tri, j'en ai jeté un paquet, mais j'ai numérisé le plus clair. Ça a été long, une photo à la fois, sur mon scanner perso. Et après, il faut encore rogner l'image à la dimension de la photo. J'ai gardé seulement un album concret, un {best of} (!) de photos argentiques, que j'ai laissé chez ma mère. Toutes mes photos, même celles d'avant le numérique, sont donc maintenant numérisées. Elles se trouvent sur mon ordi et sur des disques durs externes laissés chez ma mère à Longueuil.
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-* {{Livres.}} Là encore, l'élan radical du début m'aurait voulu les vendre tous... Le temps venu, je n'en ai pas eu le courage. J'ai fait un tri rigoureux, cependant -- et en le faisant, en décidant de ce qui allait aller dans la boîte à vendre/donner/jeter et ce qui allait dans les boîtes à conserver/entreposer, je me sentais comme le curé dans {Don Quichotte} qui fait la part entre les romans qui doivent aller au feu et ceux qui doivent être sauvés... Au total, j'ai gardé dix caisses de livres taille boîte à vin. Pas tant, finalement. J'en ai vendu un paquet à ma vente de garage, puis à la bouquinerie : j'ai dû me faire 200$ environ. Le reste, je l'ai donné, puis mis à la rue devant chez moi... L'idée du nomadisme numérique, c'est notamment la légèreté que rend possible la numérisation du livre. Je transporte avec moi trois ou quatre livres papier, pas plus. L'essentiel de ma bibliothèque se trouve sur iPad et dans l'océan du net. M'être fait répondre, par quelqu'un à qui je disais vouloir lire surtout sur mon iPad en voyage : {Mais tu peux ramasser des livres un peu partout, les laisser, en prendre d'autres.} Bien sûr, et je vais le faire (l'ai déjà fait avec un auteur thaïlandais que je m'apprête à lire, Rattawut Lapcharoensap, trouvé dans un bookstore de backpackers). Or cela, c'est la façon de faire connue, établie. L'autre façon de faire, c'est de lire numérique, de télécharger numérique, d'acheter numérique. Et même s'il y a des livres que je voudrais qui sont encore indisponibles, tant pis, j'en lirai d'autres : je ne vais pas me balader avec des masses de livres, je l'ai déjà trop fait. Je veux essayer autre chose, même si tout n'est pas prêt encore pour ce faire.
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-* {{Documents.}} Enfin j'ai numérisé des masses de documents que je gardais, pour la plupart, dans un classeur. Documents pour le voyage, dont on gardait autrefois une copie autre part dans son sac : copie du passeport, du permis de conduire, etc. À la différence qu'aujourd'hui, ces copies sont impossibles à perdre : je les ai dans ma [Dropbox->https://www.dropbox.com/home], alors même si je perdais mes ordis, je peux les récupérer depuis n'importe quel ordinateur public. En fait, TOUS mes documents se trouvent maintenant dans le nuage Dropbox. Manuscrits, carnets, ébauches. Dessins. Articles. Documents qui peuvent me servir à l'étranger : certificat de naissance, diplômes, etc. Et tout le reste... Je ne transporte presque plus de papier avec moi, et pourtant j'ai tout ce qu'il me faut pour l'administratif, le travail universitaire, l'écriture...
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Au total, ma vie se résume désormais à un petit sac-à-dos et une petite sacoche en bandoulière. Certains amis, en voyant la taille de mon sac, n'y croyait pas : pourtant oui, pas de problème, tout rentre. Tout? Fringues. Trousse de premiers soins/médicaments. Une paire de sandales; une paire de chaussures. Serviette portative, genre trekker. Lampe-torche. Chapeau mais plutôt sur la tête que dans le sac! Sac-à-viande. Etc. Etc.
Et le plus important : un iPhone, un iPad, un MacBook Air. J'ai beaucoup hésité à apporter mon MacBook Air 13'', par peur du vol. Finalement j'ai décidé de le prendre, mais je ne prendrai pas la route avec : je le laisse chez une amie à Bangkok pour l'instant, et dans quelques semaines je vais le monter chez un autre ami à Chiang Mai. J'aurais pu le changer pour un 11'', qui peut presque remplacer le iPad, mais je tiens au iPad, parce que je peux y lire confortablement, et aussi y dessiner avec les doigts... J'ai un étui Belkin avec clavier bluetooth intégré. Et je me suis arrangé pour pouvoir bloguer. Avec mon iPhone, je fais des photos, des vidéos, des captations sonores. Qu'ensuite, au gré des bornes wifi croisées, j'envoie dans ma Dropbox ou sur Youtube. Grâce à l'app [Blogsy->http://www.google.co.th/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CEoQFjAA&url=http%3A%2F%2Fblogsyapp.com%2F&ei=YyzpT6OTG83rrQf056CBDg&usg=AFQjCNFIOMHRm2F_YhL0A07ZFsd06D4T_Q&sig2=BeyPX3UwxglMwgG5gl-46Q] pour iPad, j'arrive facilement, au final, à écrire sur mon nouveau Tumblr, [Un loup en Asie->http://mahiganl.tumblr.com/], en joignant photos, vidéos, son. Mon MBA restera plus inerte, pour les moments où je me poserai un peu plus longtemps pour du boulot soutenu et pour travailler sur ma [plateforme principale->http://www.mahigan.ca/], trop complexe pour pouvoir être gérée au moyen du iPad.
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Ce soir je prends le train pour le Sud de la Thaïlande. Commenceront alors vraiment le voyage, le route, le mouvement. M'importait, avant de partir, de garder trace de ces préparatifs au nomadisme numérique, quelle qu'en soit la suite. Parce qu'une fois lancé en avant, il ne sera plus temps de regarder derrière.
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