À visière rabattue
La tête sous casque, se préparer à traverser un mur
Alors je suis retourné à Pai, dans les montagnes du Nord Thaïlande. Ce n’est pas très loin de Chiang Mai où je vis et c’est là que je vais quand j’ai besoin de repos ou de distance. Ça a déjà été un village de montagne tout ce qu’il y a de plus banal et beau, avant que des hippies le découvrent et s’y installent il y a quelques décennies, s’y isolent, et maintenant on est dans le deuxième temps de la transformation, où le commerce touristique a récupéré ça comme image monnayable, même la banque dans le centre s'est déguisée en hippie, c’est dire...
Mais ça reste petit, troué, inachevé, la difficulté d’accès ralentit le développement, c’est heureux, parce qu’à Chiang Mai au contraire de nouveaux {malls} poussent chaque année, les bouchons de circulation s’aggravent, la ville est sur la voie de Bangkok, partage la même sauvagerie.
L’aéroport de Pai n’est pas beaucoup utilisé encore, il faut emprunter la route. La première fois j’y étais allé par minibus, comme la plupart des voyageurs, j’avais sérieusement eu du mal à me retenir de vomir, tant la route est sinueuse, et les chauffeurs de minibus un peu fous et pressés. Depuis, j’y retourne en moto, quand on conduit soi-même on reste en adéquation avec le sol. Et c’est un plaisir pour tout dire de conduire sur cette route, surtout depuis que je conduis un scooter un peu plus gros, un Honda PCX 150cc, gros scooter ou petite moto appelez ça comme vous voulez, c’est un plaisir à conduire, j’ai toujours voulu et aimé conduire, et je rachète adulte mes frustrations d’inertie adolescente.
Des lacets très serrés, des pentes abruptes, quelques replats habités, des hauteurs étonnamment fraîches peuplées de pinèdes, des redescentes dans les palmiers. C'est la saison chaude et sèche, le paysage craque. Et autour de Pai, c'est le temps des feux (les fermiers brûlent les champs et ça se propage), ce qui me rappelle[ la boucle du Mae Hong Song->http://mahigan.ca/spip.php?article323], décrite l'an dernier avec l'amie Julie, à deux sur un scooter plus petit, dans les flammes et la fumée, suréelles.
Je raconte la route et les montagnes, les champs et l'atmosphère, la distance de Chiang Mai à Pai, les bus et les scooters, parce que c’est par là toujours, le paysage et ses rubans, les travellings, que je transite pour déplier l’intérieur.
Je ne raconterais pas tout ça, n’y verrais pas d’intérêt (j’ai essayé il y a un an et demi de tenir blog voyage, il manquait le dedans qui meut), s’il n’y avait qu’une extériorité de guide Michelin. Les images du paysage ne sont que la face extérieure, réverbérée, de tout ce qui nous agite intérieurement.
Ces dernières semaines, qui se sont traduites, ici même, sur mon site, en silences, ont été pour moi très agitées. Je crois, je crois vraiment, avoir trouvé quoi faire de ma vie, comment la gagner (n’ayant jamais même espéré que l’écriture remplisse cette fonction, je reste dans la création, et puis pas envie de jouer à l’{écrivain}, c’est passé et méprisable, sans parler que notre travail se déplace ici, dans le web, où il n’y a ni argent à faire ni reconnaissance institutionnalisée à attendre). Je garde encore le silence sur ce que c’est exactement, que j’ai décidé de faire, parce que tout ça encore très frais, et que je veux d’abord mettre le train sur les rails, avant de sonner la trompe. Mais le sentiment que tout s’aligne, que ça fait sens, ça donne sens, s’inscrit dans une continuité qui ne se savait pas encore. J’aurais voulu être prêt huit ans plus tôt, oui mais voilà, je ne l’étais pas, j’avais à apprendre, ou plutôt, j’avais à désapprendre (Michaux : « Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête -- inconscient! -- sans songer aux conséquences. »)
Je dis seulement le trajet dans les montagnes, sur mon scooter, et que dans la tête je me répétais des phrases. Parce que j’avais à étudier, d’où le silence blog, parce que j’avais un test à passer, c’était avant-hier, et je n’avais que deux semaines pour m’y préparer, tout en sachant que ce ne serait probablement pas assez pour combler une faille, une insuffisance que j'avais et ai encore, dans une mesure un peu moindre. Mais je voulais essayer, avec toutes mes réserves de détermination, et pouvoir me dire au moins, après le test, que j’aurai tout fait ce que je pouvais pour tenter de traverser le mur, même si je m’y cogne finalement la tête (je ne le sais pas encore, j’aurai les résultats d’ici dix jours, sinon on prendra un autre chemin, la destination restera la même).
Et tout le séjour à Pai durant, pareil, à l’étude, la répétition, la pratique intensive, interrompue seulement la veille du test pour me reposer, laisser le temps au cerveau de digérer tout ça, enfin ce qu’il en peut.
Quand je pense aux dernières semaines, c’est ça que je vois. Les images de la montagne. Les bords de route cramés par les incendies (une seule fois j'ai vu un camion de pompier à l'ouvrage, pour protéger les maisons, sans doute), les bandes de feux sur les montagnes au loin, la nuit. La piscine magnifique près de Pai, au milieu des rizières, les écouteurs dans les oreilles ou le iPhone sous la main, entre étude et musique.
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Et surtout, la vision de l’intérieur du casque, en scooter, comme une dissociation, une partie du cerveau conduisant, l’autre complètement absorbée derrière la visière, à se répéter des phrases. Une sorte d’hypnose.
Et beaucoup de stress, relâché hier, lendemain du test, comme un élastique,
qui en se détendant me laisse comme affalé.
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