Échographie des falaises
Répercussion nocturne en relief vert nuit
Éclats de nuit, presque sans oeil, comme ces images obtenues par ultrason : vision sonore. Que {voient} donc les chauve-souris? Et est-ce seulement voir? Voir est mental, et n'a qu'extérieurement à voir avec l'oeil. Quand on photographie, chronographie, comme j'ai fait, on voit très peu de ce que le monde renvoie à l'appareil. On ne sait ce qui rebondira de ces falaises que l'on sonde, comme avec un télescope les galaxies lointaines, ou avec une sonde le ventre d'une mère. Écho-graphie : écriture par l'écho, oui plutôt. Enregistrant par distance et temps l'abstraction modelée des {corps} -- corps, comme on dit d'un astre, d'un vivant ou d'un mort.
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Crier peut-être suffirait, et de l'écho renvoyé on devinerait la matière, son poreux, son lisse, sa forme, et là où elle se rompt. Crier contre une falaise, dans la nuit, pour en mesurer la hauteur, l'appréhension, la naissance et la chute. De quelle couleur serait l'image ainsi obtenue? N'y a-t-il que noir et blanc dans la tête aveugle, ou si même cela n'est que projection de voyant? Pas de couleur, ou des couleurs autres? Un sentiment de la couleur? La couleur n'est pas que visuelle, non plus, mais ton, sens, impression. Senti.
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On les {voyait}, bien sûr, ces falaises, en marchant de nuit en contrebas. Mais ce n'était pas encore image. Et on sait la photo rétive à suivre les voies de l'oeil. Alors c'était bien plus de l'exploration, de l'essai, que de simplement enregistrer le vu. Trop de nuit, d'obscur : on se serait cru en profondeurs marines. Et on y était, pour un peu : cette ville était juchée plus haut, là-haut, et nous on en était descendu, vers le fleuve, vers l'en bas maritime. On marchait sur la route intermédiaire, entre l'eau et le roc. Pourquoi les falaises appelaient? Encore cette vieille fascination du [relief->http://mahigan.ca/spip.php?article104], des [abrupts->http://mahigan.ca/spip.php?article185]. On en aurait voulu image, de ces descentes impossibles, de cette violence âpre du sol, combat du solide et du friable, où chaque arbre, chaque résineux se tend d'une conquête fragile, oblique, courageuse.
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Mais la nuit était profonde, et il a fallu, sur l'appareil, activer le flash. Des éclairs, comme des sondes, lancés sur les parois -- sur les parois qui sont le monde, les parois qui sont moi, pour tenter d'en appréhender le façonnement. Me sont revenues ces images de fonds marins, ces images verdâtres, incertaines : images à analyser, à regarder dans le détail, comme celles de Mars, où la texture d'un roc suffit à présumer du passage de l'eau. Que m'ont-elles révélées, ces échographies? Que la couleur, aspect du monde, n'est pas plus au-dehors que le reste : que c'est soi comme question, comme cri, comme appel, qui colore en retour l'image qu'on obtient par force. Ces parois ne sont pas vertes, mais l'image le devient, par écho à mon propre coup de sonde renvoyé contre le roc et les arbres.
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Vert forêt, vert nuit : telle était la couleur en laquelle je convoquais le monde, en contrebas de la falaise où se rompait la ville, aux méandres de la route sinueuse, éclaboussée de fleuve.
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