Éloge de la Volkswagen Fox
La première voiture qui m'ait ouvert l'accès au territoire
Elle est en moi comme la {première voiture} : la Volkswagen Fox. Même si ce n'était pas à proprement parler {ma} voiture, mais celle de ma mère. N'empêche : pendant mes deux années de collège, ma mère me la laissait tout le temps, elle l'utilisait moins que moi.
On habitait un petit village, [Le Bic->http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Bic], à quinze kilomètres de Rimouski. Ma mère travaillait au village, alors que moi j'allais au collège à la ville : j'avais donc davantage besoin d'une voiture. D'autant plus que beaucoup de mes amis habitaient Rimouski : ça me permettait d'aller les voir.
Longues, les années d'adolescence qui ont précédé, alors que je n'avais encore ni permis ni voiture, et que j'habitais des fonds de rang, puis ce village à quinze bornes de tout ce qui comptait pour moi... Dans la campagne outaouaise, il n'y avait rien que je puisse faire : je devais compter sur le vouloir du père pour me déplacer. Dans le Bas-du-Fleuve, ça a changé : entre le Bic et Rimouski, il y avait une route et même un bout d'autoroute, je pouvais {faire du pouce.} Mais c'était long, et ça ne prenait pas toujours : souvenir de moments de colère très grande envers les automobilistes qui passaient droit, même la nuit, et l'hiver à 20 degrés sous zéro...
Rouler voiture n'était donc pas pour moi un luxe, mais un accès à la liberté de mouvement, ce qui n'était pas rien. Enfin, j'allais où je voulais, quand je voulais. Je dépendais moins des adultes, des parents, de l'autobus scolaire... En voiture, on explorait le territoire. On allait au Quai de Rimouski, dans le Parc du Bic, dans plein de racoins de la ville et de la région.
Aller au collège en voiture le matin, avec ma copine ou une amie, en revenir le soir. Cela resterait pour moi, étrangement, parmi les plus beaux souvenirs de ma vie. J'ai toujours aimé conduire, rouler, avancer. En plus, j'aimais assez ma vie, alors : le collège était exploration, découverte des arts, sans la nécessité de performance qui vous saisit à l'université. Le matin, je garais la voiture près du fleuve, on sortait dans la lumière vive et le vent salé. Le soir, en arrivant au Bic, on avait souvent droit à des couchers de soleil spectaculaires, qui embrasaient le ciel de rouge et de bleu, de mauve.
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Être tombé sur cette Fox, identique ou presque à celle que je conduisais adolescent, en marchant dans le Mile-End l'autre jour. Son propriétaire était en train de la réparer. J'aurais voulu photographier discrètement, mais le type s'est retourné au moment de la prise... Alors j'ai dû m'expliquer très vite : je suis attaché à la Fox, ça a été ma première voiture. Il m'a laissé prendre une seconde photo, de plus près, capot ouvert.
Ce n'est pas en soi une voiture extraordinaire. Même qu'elle a un peu trop l'air {familial} pour un adolescent. Reste que je la trouve belle. Assez carrée, simple. Et la place derrière, c'était autant de gagné pour les copains, les projets, les intérêts passagers (comme cet été où on s'est mis à faire de la planche à voile dans le fleuve et dans les lacs...).
La conduite aussi en était {carrée} : le moteur, la transmission se comportaient quasiment comme ceux d'un tracteur, ils étaient secs et durs. Mais je l'aimais comme ça, la Fox : après tout, c'était {ma première}, je ne m'étais habitué à aucune autre...
Ils sont vastes, les territoires d'Amérique. Quand le monde a éclaté, enfants, adolescents, on a été oubliés sur des fragments, sans possibilité de se mouvoir à la mesure de la géographie. De conduire les voitures des parents, jusqu'à se les approprier, ç'aura été un premier commencement de mobilité - un accès enfin au mouvement des villes et des routes.
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