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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Maude Smith Gagnon | laisser venir le monde

Une traversée des lieux, un éloignement


<quote><small> {{14 novembre 2012.}} J'apprends aujourd'hui qu'{Une drap. Une place.} de Maude Smith Gagnon [vient de recevoir le prix du Gouverneur général->http://tvanouvelles.ca/lcn/artsetspectacles/general/archives/2012/11/20121113-130841.html] du Canada de cette année dans la catégorie poésie. On est bien content pour elle, même si les prix littéraires n'ont rien à voir avec la création (et même si celui-ci en particulier ressortit à une institution désuète et ridicule : la monarchie canadienne...), n'empêche qu'ils sont soutien, y compris financier. Et quand il s'agit d'un livre que l'on estime hautement, on s'en réjouit.


Compte que soit LU ce texte de MSG tout en force retenue, qui frappe par son refus radical de tout exotisme (refus qui me parle en l'Asie où je suis).</small></quote>

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C'est à mon avis un des meilleurs livres (papier, du moins) parus au Québec cette année. Il laisse derrière, largués, des centaines de romans de la mascarade de la {rentrée littéraire}, qui ont eu pourtant beaucoup plus de presse.


Mais c'est un livre discret, comme son auteure, Maude Smith Gagnon, gagnante pourtant du Prix Émile-Nelligan pour [{Une tonne d'air}->http://www.triptyque.qc.ca/argu/argu14.html] en 2006. Chacun de ses livres, assez bref, est le résultat d'un travail lent et patient, étalé sur plusieurs années.


Aveu : Maude est un peu ma {cousine}. On a grandi ensemble une partie de notre enfance sur les Plateaux de la Gaspésie, au-dessus des rivières Matapédia et Patapédia. Qui aurait dit d'ailleurs que deux enfants des Plateaux publieraient en même temps des livres à Montréal, en 2011, à l'âge de trente-et-un ans? Pas d'impartialité, donc - mais je ne suis pas le seul à reconnaître en elle une auteure très puissante.


Vient maintenant (enfin) le deuxième livre : [{Un drap. Une place.}->http://www.triptyque.qc.ca/argu/arguUnDrap.html] (le titre s'écrit comme ça, avec le point à la fin). Livre de poésie, si on en croit la collection et la réception. Mais c'est de la prose, et même une prose extrêmement... prosaïque.


On se perdrait vite dans les étiquettes si on essayait de définir l'écriture de Maude Smith Gagnon. Minimalisme. Art du peu. Impassibilité. Prosaïsme. Qu'importe : c'est en tout cas un travail qui questionne et bride sans cesse son propre regard, sa propre empreinte. Elle interroge le réel, de très près, en se retenant de surimprimer sur lui lyrisme ou fiction.


Tendance à s'effacer, donc, avec la conscience de l'impossibilité de l'effacement, qui force à une négociation continue entre le regard et le réel.


<quote><small> Sur le sol près de la grande bâtisse, un vieux prélart, une pile de bois et des flaques d'eau que le vent étire. De grandes heures vides s'ouvrent devant moi et, pas nécessairement pour les combler, j'observe Serge faire du rangement dans la cour. Depuis quelques jours il ne trouve plus son foulard. À la place, il a noué autour du cou un linge à vaisselle. Tu ne m'écris pas beaucoup. Le temps ici est gris clair. Même ciel qu'hier, mais plus bas. Je ne le regarde pas très longtemps.

</small></quote>


L'art de Smith Gagnon tient dans la mise à plat des perceptions. Pourquoi donner plus d'importance à un détail qu'à un autre? Le monde demande une conscience égale. C'est notre esprit intéressé et émotif qui retient certaines choses, certains événements, et gomme tout le reste. C'est une réflexion que l'auteure a elle-même articulée, en accompagnement de son projet {Une tonne d'air}, sous la forme d'un [mémoire de maîtrise->http://virtuose.uqam.ca/primo_library/libweb/action/display.do?tabs=detailsTab&ct=display&fn=search&doc=UQAM_BIB000148390&indx=3&recIds=UQAM_BIB000148390&recIdxs=2&elementId=2&renderMode=poppedOut&displayMode=full&frbrVersion=&dscnt=1&vl(1UI0)=contains&vl(38871073UI0)=any&scp.scps=scope%3A(%22UQAM%22)&frbg=&tab=default_tab&dstmp=1322335453891&srt=rank&mode=Basic&dum=true&tb=t&vl(freeText0)=maude%20smith-gagnon&vid=UQAM] déposé à l'Université du Québec à Montréal.



<quote><small> {Pourquoi ce besoin. Que tu saches qu'hier, par exemple, je me suis assise sur un bloc en béton, qu'il s'est mis à pleuvoir et que je suis restée là, à simplement regarder ce qu'il y avait devant moi. Une rue, un immeuble et une porte, avec des gens qui entraient ou qui sortaient.}</small></quote>


Il y a besoin pourtant de dire. À un {toi}, dont on conçoit qu'il s'est d'abord agi d'un correspondant, mais auquel on tend naturellement, comme lecteur, à s'identifier. Les fragments sont datés, mais ne suivent pas l'ordre chronologique, ce qui met en relief le travail de {construction} prosaïque, livresque. Ce n'est pas un {journal}, mais l'assemblage de regards, de temps morts, de {méditations} (ce mot me semble un des plus justes pour parler de l'approche et du ton des fragments).


C'est si peu parfois (et ne me parlez pas de haïku) :


<quote><small>11 mai. C'est un mur avec deux fenêtres. Chacune donne sur la même chose : des arbres.</small></quote>


Le livre est d'abord structuré selon divers {lieux} : "Natashquan", "Viêt Nam", "Montréal". On reconnaît là une communauté d'expérience : cette mobilité que j'ai éprouvée, qu'[Annie Rioux->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814504837/filles-du-calvaire] a éprouvée, Maude Smith Gagnon, qui a le même âge, en a fait aussi l'expérience. Et si sa manière est extrêmement différente de la mienne (je travaille dans la vitesse et l'exagération, alors qu'elle privilégie la lenteur et la retenue), il y a chez elle le même refus de l'exotisme, la même boucle qui ramène au même jusqu'en l'ailleurs le plus éloigné. Peu de références, dans la partie Viet Nam, dans la partie Montréal, à ce pays ou cette ville. Ce qui compte, c'est le temps, et le temps traverse tous les espaces. On comprend mieux cela encore quand on en vient aux deux dernières parties : "Cela pourrait être ailleurs", "Ou plus loin". On a quitté les lieux; on se trouve dans le pur espace et le pur temps. La prose est expérience de l'éloignement.



<quote><small>Cela n'a rien à voir avec l'ennui. Quels mots alors pour cette sorte de moment?</small></quote>


On meurt à soi, on meurt à l'affairement, à la préoccupation, et le monde alors vient à la langue, sans qu'on l'y ait forcé.


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