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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Modelé verglaçant

La neige comme une terre le temps d'une saison



<quote><small>car la trace d'un chemin d'homme est plus longue à s'effacer de la terre que la marque d'un fer rouge


Julien Gracq </small></quote>


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On dit que les Inuits ont différents mots pour décrire chaque type de neige particulier : neige folle, dure, sèche, humide, craquante... La neige est un univers en soi - une nouvelle terre déposée à la croûte, aux textures et aux reliefs changeants, riches et divers.


Comme la terre, mais en un temps infiniment plus rapide, la neige se dépose en strates. Temps fluide, liquide, rapide de l'eau gelant, contraire à la rigidité et l'inertie des rocs, des minéraux. Ce sont les jours, les semaines qu'on retrouve en creusant dans la neige : couche sur couche de bordées successives, créant une masse qu'on reconnaît au total comme une.


Les séparations les plus visibles sont celles que provoque le verglas. C'est une pluie, mais si froide qu'au contact des objets, du sol, de la neige elle se durcit aussitôt en croûtes translucides. Alors la neige se divise aussitôt [entre surface et profondeur->http://mahigan.ca/spip.php?article171] : il y a le {fond} mou et floconneux, le souvenir des dernières bordées; et il y a la surface dure, la croûte terrestre liquide, temporaire, craquante comme la surface d'une crème brûlée.


On se rappelle si bien comment, enfant, dans [les champs enneigés->http://mahigan.ca/spip.php?article158], elle rendait la marche difficile. Le pied traverse la croûte, mais il s'y prend, s'y coince, et c'est misère de le ressortir pour le pas suivant. Ou bien, au contraire, quand la croûte était très dure, et comme on était soi-même (enfant) léger, on pouvait y marcher (presque) sans s'y enfoncer. C'était alors magie, comme de marcher sur l'eau quasiment, que d'avancer sur la neige sans caler : les champs, l'espace, d'habitude ardus l'hiver, soudain s'ouvraient à nous.


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Vernis, glacis, fixateur d'un coup posé sur la surface inégale du sol enneigé. Personne n'avait prévu, en marchant dans la neige, en y promenant son chien, que les pas seraient ainsi fixés en une sorte de grande huile - une oeuvre d'art. Normalement nos pas sont éphémères, évanescents : le premier vent, la première poudrerie les effacent. Mais le verglas les préserve, pas éternellement, mais assez longuement à l'échelle du temps de l'eau - quelques semaines, souvent, jusqu'à ce qu'une autre bordée viennent superposer une nouvelle strate au sol saisonnier.


En attendant, en fixer soi-même l'image. Dans la nuit, les lumières et les ombres accentuent encore le modelé des pas, des sentiers, des traces.


Que serait d'habiter ce temps, beaucoup plus rapide? On serait le peuple d'une saison. On aurait nos sentiers, nos repères. Notre histoire, brève, déposée en strates. On serait un peuple d'eau, vivant au rythme du cycle hydrographique. Notre mémoire serait celle de la pluie d'hier, de la neige de l'avant-veille, du frimas de l'aube. Et quand viendrait le printemps, on serait perdus, mais entièrement nous-mêmes, liquides : on retournerait au sol.


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