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Photo du rédacteurMahigan Lepage

Relief, éditions du Noroît | trajet d'un texte

Extraire un lyrisme du relief terrestre


<quote><small> {{Addendum 21 juin 2012}}. Le 11 juin dernier, {Relief} recevait le [Prix Émile-Nelligan->http://www.fondation-nelligan.org/comm2012-06-11.html]. Surpris, évidemment, et ravi de la reconnaissance d'un travail resté peu visible. Pour marquer le coup, je remets en une ce billet rédigé à la parution du livre, en février 2011. Merci à la Fondation Émile-Nelligan, aux jurés, et à tous ceux qui m'ont transmis leurs compliments.


Ce livre aurait pu être dédié à mon père : comme je l'ai dit lors de la cérémonie de remise, les images de bûchage, de moulin à scie, de pick-up viennent du regard qu'enfant je portais sur mon père au travail. </small></quote>


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<quote><small> {{Addendum 15 septembre 2011}}. Article initialement publié le 13 février 2011, alors que Le dernier des Mahigan était sous Wordpress. Transféré sous nouveau site en Spip le 15 septembre 2011.</small></quote>


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<quote><small> {{Addendum 13 février 2011}}. Ce billet pour marquer la parution de {Relief} aux éditions du Noroît. J'ai reçu mes exemplaires mercredi dernier, le livre arrivera en librairie au courant des prochains jours.</small></quote>


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On est très content : c'est un premier livre papier, et on découvre, au moment même où ils tendent à être relativisés par l'édition numérique, les vieux rituels de l'édition graphique : prise de livraison, palpation de la couverture/de la texture, dédicaces et envois postaux... Le livre est beau, je trouve, et j'en remercie Paul Bélanger (directeur littéraire), Patrick Lafontaine (adjoint éditorial) et Éric de Larochellière (maquettiste et mise en page). En couverture, la reproduction d'un très beau tableau de Peter Hoffer tiré de sa magnifique série de paysages, qui consonne merveilleusement bien avec les paysages sylvestres de {Relief}.


J'ai écrit ce texte à Paris à l'automne 2007, pendant la première moitié de mon année complète dans la capitale française. Je me souviens des levers dans mon petit appartement du 19e arrondissement, sur la rue de Crimée, où il n'y avait pas de fenêtres, que des velux (ou ce qu'ici on appelle "puits de lumière"). Mais je possédais sur l'étage une petite pièce à part, avec fenêtre sur la cour intérieure, que j'appelais pour rire mon cabinet : c'est là, dans cette pièce rudimentaire, mal chauffée et qui sentait beaucoup l'humidité, que j'ai écrit l'essentiel de {Relief}, en commençant très tôt souvent (5, 6h le matin). Après quelques heures d'écriture, j'allais prendre l'air dans les Buttes Chaumont juste à côté, où j'observais aux feuillages le changement de saison : certaines frondaisons viraient à l'automne au jaune or très vif, et je m'en suis inspiré pour décrire, dans le troisième chapitre de {Relief}, la ramure automnale d'un mélèze laricin, un des seuls conifères qui perde son feuillage à l'automne. Je descendais aussi souvent du côté du canal et du bassin de la Villette - et là encore, la texture huileuse, quasi plastique de l'eau, m'a induit certaines descriptions de rivière du deuxième chapitre.


Le titre de travail était d'abord {Faux plat} : c'est ce rapport, entre platitude et relief, que je voulais en premier lieu explorer. Comment, dans la géographie des plateaux où j'ai grandi en Gaspésie, les villages et les rangs sont sis sur des surfaces si planes et si larges qu'on en oublie qu'on se trouve au-dessus des montagnes, sauf à certains endroits précis où le relief s'apparaît dans le vertige : sur certains promontoires qui offrent des points de vue sur les rivières serpentant en contrebas, et aussi dans les coulées (ou ce que moi j'appelle tel, sans être certain de l'usage courant), c'est-à-dire dans les ravins abrupts et étroits qu'il faut traverser pour passer d'un plateau à un autre. Dès le départ, il a été décidé d'écarter l'autobiographie ou même la topographie au sens strict d'écriture d'un lieu précis : c'est à partir de cette seule abstraction de relief, ainsi que dans une certaine atmosphère d'illusion noire, qu'il me faudrait travailler.


J'avais en tête deux histoires de mort sur ces plateaux, lesquelles s'étaient lentement superposées en moi. Un homme ayant caché sa maladie du coeur, un jour roule en pick-up dans une coulée et, pris de malaise, s'arrête pour s'humecter le front dans la rivière, tombe là raide mort, le visage à l'eau, sûrement noyé. Un autre homme, pris du coeur aussi, l'avait pareillement caché à sa femme, et avait empilé dans la remise, sachant qu'il allait mourir, des cordes et des cordes de bois de chauffage, pour que sa veuve ne manque pas. Ces récits ne m'intéressaient pas comme témoignages (le premier est d'ailleurs très ancien, sa vérité très incertaine), mais par ce qu'ils révélaient du pays, de ses hommes et femmes : dans {La Bête lumineuse} de Pierre Perrault, il y a un homme comme ça, un père qui sait câler l'orignal dans un cornet d'écorce, mais ne parle presque pas, semble une figure de pur silence. Quand on remonte les racines du pays - et c'est ce que je voulais faire avec {Relief} : pas le pays au sens national, mais le pays au sens mythique, mironien et paysager -, on trouve ces figures d'hommes muets, qui cachent leur mal, et révèlent par leur mutisme la souffrance du pays lui-même, de ses chemins, de ses coupes, de ses villages gagnés sur la forêt, mais qui portent en eux-mêmes leur propre destruction, leur propre défondation.


Par condensation des noms des deux morts rapportés dans les récits, s'est formé celui de "Romu", qui rappelait bien sûr Romulus, ce qui était parfait, puisqu'il devait s'agir d'une figure de père fondateur. Aussi, au village de L'Ascension-de-Patapédia, dont le nom est passé dans {Relief}, l'épicier s'appelle Marius - personnage historique dont Plutarque dédaigne la force purement brutale, virile. Les seuls noms d'hommes nommés suggéreraient donc une consonance romaine, de manière à filer une métaphore de fondation mythologique.


Il s'agissait de jouer sur la fausse platitude de l'abstraction de relief comme de l'illusion d'une stabilité à briser, à casser. Une voix - la voix des fils abandonnés, non nés - sourd des entrailles de la terre, de la coulée, et monte verticale pour ébranler le sol horizontal de la patrie au-dessus. Le nom Romu vient comme une incantation, un profération même, à l'endroit des pères vivant dans l'illusion du plat, du stable.


Sans que j'en aie eu conscience au moment de l'écriture, cette énonciation est proprement poétique : ce "je", qui se manifeste principalement dans les passages où se fait entendre la voix directement issue de la coulée, n'est autre qu'un je poétique, qui procède du chant, et non vraiment du narratif, ni même de la fiction au sens propre. J'ai d'abord envoyé ce Relief à quelques éditeurs de romans, avant de prendre conscience de son caractère proprement poétique, en dépit de la narrativité des descriptions, des enchaînements, des trajets qui structurent chaque chapitre. En ce sens, il aura trouvé sa juste place au Noroît, qui publie exclusivement de la poésie. Qu'il paraisse au Québec, chez un éditeur très ancré dans la poésie du pays, voilà qui compte aussi, puisque ce texte y ressortit. Dans le carnet que j'ai rempli en vue de l'écriture de {Relief}, il y a des phrases de Paul-Marie Lapointe, de Gérald Godin, et bien sûr de Gaston Miron : des bribes d'arbres, de paysage, de bûchage même, dont plusieurs ont passé directement dans le livre.


J'ai l'habitude de dire que {Relief} est mon premier texte, tout en sachant ce que cette expression a d'inexact, notre cerveau d'écriture étant d'emblée palimpseste, noirci déjà des griffonnages de l'enfance et de l'adolescence. Reste que c'est par là, après plusieurs années d'études littéraires qui m'avaient éloigné de la pratique de la littérature, que j'ai pris le virage d'une opiniâtreté et d'une radicalité créatives. Il me fallait peut-être, avant de me laisser emporter par l'éclatement des géographies et des villes contemporaines, avant de rejoindre le présent du monde, dans des textes ultérieurs ({Vers l'Ouest}, {La science des lichens}...) qui ont paru antérieurement, il me fallait peut-être dis-je, avant cela, descendre jusqu'au noyau du pays, en palper les sutures, en chercher les fissures...


Je renouvelle mes remerciements à Paul Bélanger et Patrick Lafontaine, qui ont pris ce {Relief} à-bras-le-corps, en ont exploré les saillies et les failles, dans une démarche d'édition fraternelle et méticuleuse.


On encouragera [le Noroît->http://www.lenoroit.com/index_site.htm], dont la conduite d'édition demeure libre et indépendant, et bien sûr on m'encouragera aussi, en achetant {Relief} dans les librairies du Québec à compter de cette semaine.

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