Écran neige, le projet
Photographier les boîtes à images jetées dans les rues de Montréal
Montréal, septembre 2011. Des publicités circulent à la télé, dans les journaux, à la radio. Le Canada passe au signal numérique. Ceux qui veulent continuer à capter les signaux sur leur vieille télé analogique devront se munir d'un convertisseur.
Déjà, depuis plusieurs années, on ne fabriquait et vendait plus que des {écrans plats}. Alors on a le choix : soit on se procure un convertisseur, soit on en profite pour s'acheter une télé écran plat avec récepteur numérique.
Tierce option : se débarrasser de la télé, bien sûr. Le bulldozer Internet ramasse tout : les contenus vidéos sont désormais accessibles sur demande, les écrans, de plus en plus {personnels}, individuels, alors à quoi bon le vieux poste traditionnel dans le salon? Mais il y a des persistances : on est ahuri chaque fois qu'on entend ces études sur combien d'heures par jour les gens regardent la télévision. Et ça ne vaut que pour la télé traditionnelle, sans option de contenu autre que changer de chaîne. Mais il y a aussi Netflix et le reste. La télé demeure, dans les salons, même si elle s'est aplatie et muée en écran de moins en moins distinct de ceux des ordinateurs.
La télé est encore, mais sa symbolique est restée en arrière, attachée à ces objets cubiques, à écran bombé, cathodique. La télé était pour notre génération l'objet le plus important de la maison, notre seule fenêtre sur le monde. Il y avait souvent très peu de livres (sinon aucun) dans les maisons, dans la nôtre y compris. On dépendait, pour s'imaginer le monde, de ce {petit écran} branché dans le salon. Dessins animés, films, émissions pour enfants, publicités, reportages, téléromans, etc. Il faudra un jour en faire l'archéologie. Il est temps, maintenant que le symbole dépérit. Parce que c'est cela qui nous a fait, qu'on le veuille ou non. D'autres jeunes auteurs, [Mathieu Arsenault->http://www.livresquebecois.com/livre.asp?id=pzugbwjuobfug&/vu-d-ici/mathieu-arsenault], [Josée Marcotte->http://www.publie.net/fr/ebook/9782814503229/marge], se ressaisissent déjà de ces symboliques. C'est important pour nous, si on veut comprendre de quoi on est fait. Une archéologie télévisuelle de soi : voilà ce qu'il faudrait -- c'est un chantier que j'aimeras attaquer... Et ça commence par la {fin}, par cette série photo.
Dès que j'ai appris qu'on allait passer au signal numérique, j'ai su que des tas de télés se retrouveraient à la rue, sur les trottoirs, dans les vidanges. Moi-même, j'avais une vieille télé, une Technicolor (voire photos ci-haut et ci-bas) ayant appartenu à mon grand-père, puis à mon père. Une toute petite télé grise qui faisait bien rire les amis qui venaient me visiter, et que je ne regardais plus. J'allais la jeter aussi, comme tout le monde.
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Alors, pendant tout l'automne et l'hiver (c'est un chantier encore en cours : chaque semaine, je croise de nouvelles télés jetées), photographier les télés sur les trottoirs, dans les ruelles, sur les bancs de neige. J'ai décidé aujourd'hui d'appeler cette série de photo : {Écran neige}. Parce que les télés se sont souvent retrouvées dans la neige, et plus largement dans les intempéries : pluie, grêle, vent, gadoue, {slush}... Mais aussi parce que c'est ainsi qu'on appelait l'état d'un écran analogique qui ne recevait aucun signal. On ne voyait plus alors que des points blancs et gris chatoyants, en même temps qu'on entendait un {grichement}, un grésillement -- comme une antenne de la Nasa pointée vers une galaxie muette. Ça signifiait qu'il n'y avait pas de signal. Je veux y voir l'allégorie de cette fin du signal analogique, cette obsolescence précipitée de la télé, cette chute d'un âge et d'une symbolique. Les années cathodiques sont derrière nous.
J'ai accumulé jusqu'à maintenant une soixantaine de photos. Je continuerai à photographier les télés jetées au moins jusqu'au printemps. Je les présenterai ici à partir d'aujourd'hui, à raison d'une {scène} par jour. Je dis scène, parce que j'ai parfois deux ou trois photos d'une même télé, ou parfois de deux télés, dans un même décor. À chaque jour donc, pendant cinq, six, sept semaines, quelques images de boîtes qui n'en présentent plus, de boîtes cassées, ouvertes, profanées.
Les Cathodes étaient nos déesses. Voilà qu'on les jette au milieu des ordures et des rigueurs de l'hiver. Elles étaient tout en couleurs et en vedette. Voilà que les écrans tournent au noir, éteints.
Que l'on voit donc ces photos comme des masques de dieux morts. Et les couleurs, rajoutées numériquement, des fards peut-être, pour en rehausser la beauté -- dans la chute.
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